Le chiffre est considérable : environ 90 % des cellules de notre peau sont des bactéries. A l’image de la flore intestinale, le microbiote cutané contient de « bonnes » et de « mauvaises » bactéries, ces dernières pouvant être problématiques surtout en cas de plaies étendues ou profondes car elles peuvent déstabiliser le processus de cicatrisation. Quant aux bactéries bénéfiques, les premières recherches sur ce thème montrent que des bactéries spécifiques pourraient offrir une nouvelle approche thérapeutique. Des contributeurs du magazine de santé autrichien Bauchgefühl se sont entretenus avec la professeure Ewa Klara Stürmer sur la prise en charge des plaies et des blessures ainsi que sur le rôle des probiotiques dans ce domaine.
Cicatrisation : causes des plaies qui ne guérissent pas
Bauchgefühl – Quelles bactéries sont les plus souvent à l’origine d’une mauvaise cicatrisation des plaies ? Quel est le nombre de patients chaque année (en Allemagne) qui présentent des plaies ?
Concernant les « principaux responsables » des infections de plaies, les études nationales et internationales ont identifié plus de 50 % de staphylocoque doré (Staphylococcus aureus), dont environ 9 % de Staphylococcus aureus (SARM), une bactérie résistante à la méthicilline (le SARM a donc développé une résistance à cet antibiotique). Il faut toutefois nuancer ce propos : tant que le SARM reste à la surface de la plaie, il est aussi sensible à nos antiseptiques que le staphylocoque doré « normal ». Il devient un véritable problème lorsqu’une infection superficielle de la plaie se transforme en infection profonde et se propage dans l’organisme. Le choix des antibiotiques qu’il faudra alors utiliser est plutôt limité en raison de la résistance de cette bactérie.
Ensuite, c’est la bactérie Pseudomonas aeruginosa qui colonise souvent les plaies chroniques, on la retrouve à hauteur de 30 %. Les entérobactéries pathogènes sont également souvent observables dans ces plaies. Toutes ces bactéries sont les principales ennemies d’un processus normal de cicatrisation.
Le nombre de patients est difficile à estimer car ceux qui présentent des plaies sont traités par différents services en Allemagne. S’il s’agit d’infections postopératoires, ce sont les chirurgiens qui les traitent en premier lieu mais les plaies peuvent être aussi prises en charge par les médecins, les angiologues, les dermatologues, les diabétologues, etc. Les plaies chroniques ne relèvent donc d’aucune discipline en particulier. Cependant, nous savons grâce à une étude de grande ampleur menée en Allemagne en 2016 (PMV-Studien), qu’il y avait à ce moment-là environ trois millions de patients présentant une plaie et environ deux tiers d’entre eux qui souffraient de plaies chroniques.
Mauvaise cicatrisation : des patients vulnérables ?
Bauchgefühl – Les blessures importantes sont-elles toujours à l’origine de plaies qui cicatrisent mal ou une petite égratignure peut-elle aussi être à l’origine d’un tel problème ? Pourquoi les diabétiques sont-ils si souvent touchés par des problèmes de cicatrisation ?
Ces plaies ne surviennent pas tout à fait par hasard. Chez les patients âgés souffrant de troubles de la circulation sanguine au niveau des jambes, ce sont souvent des blessures mineures qui sont à l’origine de ce problème : de petits chocs lors de travaux de jardinage, une écorchure causée par un rosier ou une piqûre d’insecte qui aura été grattée. Ces petites blessures deviennent la base d’une plaie chronique.
Chez les diabétiques, il s’agit souvent de blessures qui se transforment en plaies ouvertes au niveau des pieds (infections du pied diabétique). En effet, de nombreuses personnes diabétiques développent une polyneuropathie : les nerfs sont endommagés et ils n’envoient plus de signaux de douleur. Les infections de plaie du pied sont fréquentes, par exemple à cause des chaussures, des ampoules se forment, en particulier sur la plante des pieds ou sur les protubérances osseuses, qui s’infectent pouvant alors se transformer en plaies chroniques.
Progrès dans la prise en charge des plaies ?
Bauchgefühl – Bien que novices dans ce domaine, on a parfois l’impression que la prise en charge des plaies n’a pas autant évolué que d’autres secteurs médicaux. Est-ce vrai ? Qu’en est-il des avancées scientifiques dans ce domaine ?
C’est un « oui » catégorique. Ces dernières années, puisque le COVID-19 était la principale préoccupation, nous n’avons pas constaté de véritables innovations dans le traitement des plaies, bien que nous ayons vu nettement plus de plaies et des plaies nettement plus graves en raison de la peur de patients blessés de se rendre à l’hôpital ou à cause de lacunes dans le système de soins.
Le traitement moderne des plaies existe depuis 40 ans et il a constitué une étape importante pour la cicatrisation des plaies grâce à l’introduction du traitement en milieu humide des plaies. Auparavant, on pensait que les plaies devaient être asséchées. Cette méthode est peut-être vraie pour les plaies aiguës, mais l’introduction du traitement humide des plaies à l’aide de pansements spécifiques a été une bénédiction pour les plaies chroniques.
Même s’il n’y a pas eu de véritables innovations dans ce domaine ces derniers temps, le matériel médical utilisé pour les plaies est devenu de plus en plus performant et efficace. Les matériaux adhèrent moins et sont plus fins. Il convient également de mentionner ici le développement du traitement des plaies par pression négative (TPN). Cette technique consiste à recouvrir la plaie d’un pansement et à la maintenir sous une pression inférieure à la pression atmosphérique ambiante.
En outre, le secteur des dispositifs médicaux met à notre disposition un large éventail de substances et de solutions antimicrobiennes efficaces qui nous aident à contrôler les infections des plaies à partir de l’extérieur. Mais à mon avis, nous n’avons malheureusement pas pu bénéficier d’innovations importantes au cours des 15 dernières années.
Antibiotiques et troubles de la cicatrisation
Bauchgefühl – Les antibiotiques ont été une invention qui a changé l’humanité mais la résistance croissante des bactéries à ces médicaments est un problème de santé publique. Est-ce également un sujet de préoccupation en ce qui concerne le traitement des plaies ?
Les plaies chroniques sont colonisées par des espèces bactériennes les plus diverses. Si on l’analyse par PCR, on peut trouver jusqu’à 70 bactéries différentes. En revanche, il ne faut pas forcément les combattre avec des antibiotiques. En cas de prélèvement de plaie positif aux bactéries, j’examine le patient et la plaie, puisque tout médecin devrait d’abord déterminer s’il s’agit uniquement d’une colonisation de la plaie qui ne rend pas le patient malade, ou s’il s’agit d’une infection locale, voire d’une infection systémique.
Les patients souffrant de plaies chroniques présentent de nombreuses infections. On pourrait alors prescrire à chaque fois un antibiotique et ces patients serait sous traitement deux à trois fois par an. L’usage trop fréquent d’antibiotiques contribue au développement de bactéries qui deviennent résistantes. Les antibiotiques sont évidemment des produits précieux et essentiels, mais ils doivent être utilisés avec prudence chez les patients présentant des plaies chroniques. C’est pourquoi nous cherchons des alternatives, car malgré toutes les précautions prises, le nombre de bactéries résistantes augmente.
Risque d'infection des plaies
Bauchgefühl – Quel est le risque d’infection des plaies à l’hôpital ? Y a-t-il des groupes de patients particulièrement vulnérables ?
Les personnes âgées sont particulièrement vulnérables, notamment parce que les processus métaboliques ralentissent avec l’âge. Cependant, ce sont les patients diabétiques et les personnes souffrant d’obésité qui sont les plus nombreux, ainsi que les patients qui cumulent les deux, sur la base de ce qu’on appelle le syndrome métabolique. Ces personnes sont donc affectées par des troubles métaboliques complexes qui compliquent également la cicatrisation. À cela s’ajoute le fait que chez ces patients, le microbiome joue un rôle important dans le retard de cicatrisation, car on sait que les compositions du microbiote cutané et de la flore intestinale sont altérées favorisant le développement de germes pathogènes.
Bauchgefühl – Le diabète de type 2 est devenu une maladie très répandue, et les diabétiques sont souvent confrontés à des problèmes de cicatrisation. Combien de temps faut-il pour qu’une plaie ouverte guérisse chez un diabétique, et pourquoi en est-il ainsi ?
Les plaies chez les diabétiques guérissent très, très lentement. Elles guérissent quasiment aussi lentement que chez les patients souffrant de troubles de la circulation, tout simplement parce qu’ils ont de moins bonnes défenses immunitaires et une mauvaise microcirculation sanguine en raison du syndrome métabolique.
En raison de la maladie, la défense contre les infections est parfois tellement compromise qu’il faut aider le corps à éliminer les agents pathogènes des plaies en changeant régulièrement les pansements. Cependant, cette pratique ne suffit pas toujours et elle n’est pas pratique au quotidien pour le patient et le soignant. C’est ainsi qu’est née, entre autres, l’idée nouvelle d’intégrer le microbiome dans le processus de cicatrisation des plaies. Son influence sur la santé intestinale est en effet bien connue. De plus, l’intestin, les muqueuses et la peau n’ont pas une structure si différente, ils sont tous colonisés par des bactéries et les mécanismes sont similaires au niveau histologique et cellulaire.
La recherche sur la barrière intestinale est déjà très avancée. Il est clair que l’on s’est concentré sur la prise orale de probiotiques dans ce cas. Qui utilise des probiotiques sur la peau ? La recherche peut fournir de nouvelles perspectives, car il est évident que les mécanismes du microbiote cutané sont très similaires à ceux de l’intestin.
Quel est le rôle des probiotiques dans la cicatrisation des plaies ?
Bauchgefühl – Quel rôle les probiotiques peuvent-ils jouer dans la cicatrisation des plaies ? Quel est l’état actuel de la science à ce sujet ? Les bactéries probiotiques pourraient-elles éventuellement accélérer la cicatrisation des plaies ?
Nous terminons actuellement une étude pilote sur l’effet d’un probiotique spécifique sur la cicatrisation des plaies et je peux déjà vous parler d’une première tendance. Nous avons choisi un probiotique multi-espèces spécialement conçu pour les diabétiques et le syndrome métabolique, car tous les patients de notre étude étaient diabétiques.
L’un des principaux résultats a été que la prise du probiotique pendant six mois a entraîné une modification du microbiome de la peau et des plaies, qui est passé de pathogène à moins pathogène. C’est impressionnant dans la mesure où les patients ont pris le probiotique le matin dans un verre d’eau, donc par voie orale. Il s’est avéré que les bactéries probiotiques ont trouvé leur chemin vers la peau et finalement vers la plaie via la muqueuse buccale et l’intestin. En tout cas, il est frappant de constater qu’une prise orale de probiotiques a un effet positif sur le microbiome cutané. Nous allons, je l’espère, mener bientôt une étude plus importante à ce sujet et je suis très confiante dans le fait que les effets en question se manifesteront également dans cette étude.
Dans cette étude pilote, nous avons également vu que la parodontite s’est améliorée de manière significative chez les diabétiques, et ce chez presque tous les patients. C’était aussi saisissant ! En comparaison, un traitement habituel de la parodontite est long et comporte de nombreuses visites chez le dentiste, des bains de bouche fréquents et des nettoyages douloureux. Or, il est facile d’améliorer de manière significative la santé dentaire en prenant des probiotiques pendant six mois. Cela signifie que les probiotiques ont définitivement un effet sur la peau et les muqueuses. Il est difficile de dire dans quelle mesure ils pourront peut-être un jour remplacer les antibiotiques. Si je me projette dans l’avenir, je pense que les probiotiques seront un outil supplémentaire dans le traitement des plaies chroniques. Les probiotiques auront un rôle à jouer dans le traitement des infections latentes.
Bauchgefühl – Comment vous est venue l’idée que les probiotiques pourraient jouer un rôle dans la cicatrisation des plaies ?
Mon groupe de travail a publié une étude il y a environ trois ans, dans laquelle nous avons étudié en laboratoire l’effet des bactéries probiotiques sur les agents pathogènes humains dans le biofilm bactérien. En d’autres termes, nous avons fabriqué un biofilm à partir de plasma sanguin, de cellules immunitaires et de bactéries, comme celui que l’on trouve sur les plaies chroniques. Nous avons ainsi testé l’effet de différents probiotiques et analysé s’ils pouvaient tuer ce biofilm et les bactéries qu’il contient. À ma grande surprise, la bactérie Lactobacillus plantarum a été capable de tuer l’un des germes cutanés les plus agressifs, le Pseudomonas aeruginosa, et d’inhiber la croissance du Staphylococcus aureus ou staphylocoque doré. Ces observations ont certes eu lieu dans un premier temps uniquement dans un cadre expérimental, mais dans un milieu humain et donc déjà proche du biofilm humain réel.
Ces recherches nous ont permis de découvrir le grand potentiel des probiotiques, même s’il reste encore beaucoup à explorer dans le domaine des plaies chroniques, notamment en ce qui concerne les « bonnes » bactéries dont nous avons besoin. Néanmoins, nous pouvons certainement utiliser Lactobacillus plantarum à bon escient. Cette bactérie rend le pH de la plaie un peu plus acide, ce qui ne plaît pas du tout aux agents pathogènes typiques des plaies. C’est un peu comme David et Goliath, puisque dans la problématique des infections de plaies, nous avons affaire à des germes très agressifs, auxquels s’opposent maintenant de nombreuses petites bactéries sympathiques.
